Récemment, les médias se sont fait l’écho de la visite officielle au Maroc de membres de notre gouvernement, notamment le Premier ministre Charles Michel, son ministre de l’Intérieur Jan Jambon et son secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Theo Francken.

Au programme de cette mission, une visite à Rabat de la Direction des systèmes d’information, de télécommunication et d’identification (Dsiti ­ faisant partie de la Direction générale de la sûreté nationale) afin d’y observer le fonctionnement de la carte d’identité marocaine, en particulier l’enregistrement des empreintes digitales des citoyens sur leur carte d’identité.

Ainsi, le gouvernement belge souhaiterait s’inspirer du système marocain de carte d’identité et de fichage des citoyens! Une information pour le moins interpellante quand on sait que le Maroc est loin d’être un modèle de démocratie et de respect des Droits de l’Homme: il est ainsi classé 116e sur 167 sur l’indice de démocratie publié par « The Economist » (contre une 24e place pour la Belgique).

Du livret d’ouvrier au Personal Ausweis

De tous temps, les gouvernements ont voulu établir l’identité de leurs administrés, le plus souvent afin de connaître leurs ressources humaines pour des questions de fiscalité, de police et pour lever des troupes militaires. La carte d’identité, surtout lorsqu’elle est obligatoire, est un moyen pratique pour contrôler la population et en ficher les éléments indésirables ou jugés dangereux (vagabonds et mendiants, déserteurs, étrangers et ouvriers).

Ainsi, dès la fin du 18e siècle, le livret d’ouvrier est généralisé par Napoléon. Ce livret permet notamment aux autorités de contrôler les horaires et les déplacements des ouvriers. Tout ouvrier qui voyage sans être muni d’un livret est réputé vagabond, et peut être arrêté et puni comme tel.

En Belgique, la carte d’identité ou « Personal Ausweis » est mise en place en 1915, sous l’occupation allemande. Une ordonnance impose à tous ceux qui veulent circuler un certificat d’identité délivré par la police locale comportant nom, nationalité, signature, domicile, date et lieu de naissance, taille, profession et photographie. En 1919, après la libération, la carte d’identité remplacera le « Personal Ausweis », pourtant considéré par beaucoup comme vexatoire.

En France, c’est au début de la Seconde Guerre mondiale que le gouvernement de Vichy développe l’idée d’une carte d’identité et, à la suite des mesures antijuives, la rend obligatoire et l’étend en 1943 à l’ensemble du pays.

Ce n’est donc pas un hasard s’il existe un lien important entre le déficit démocratique d’un pays et l’existence d’une carte d’identité. En effet, la carte d’identité, en particulier lorsque celle-­ci est obligatoire, favorise un État fort et centralisé, et le développement d’une bureaucratie pléthorique, menant à des dérives arbitraires.

À l’inverse des exemples évoqués ci­dessus, des pays comme la Norvège, le Danemark, le Canada, le Royaume­Uni ou encore les États­Unis ne disposent pas de carte d’identité. Ils sont respectivement classés 1er, 5e, 7e, 16e et 19e sur l’indice de démocratie publié par « The Economist ».

La Suisse et la Suède, qui possèdent tous deux une carte d’identité facultative et sans données biométriques, sont quant à elles classées 2e et 6e. Un résultat similaire apparaît si l’on se base par exemple sur le classement de liberté de la presse publié par Reporters sans frontières.

Le Royaume-­Uni fournit un exemple particulièrement éclairant: alors que le gouvernement travailliste de Tony Blair avait voté en 2006 une loi mettant en place une carte d’identité obligatoire suite aux attentats du métro de Londres, cette loi fut abrogée et le registre national détruit par le gouvernement Cameron en 2010, après d’intenses débats publics.

La mission gouvernementale au Maroc, un pays qui n’est pas réputé pour son respect des Droits de l’Homme, est un signal inquiétant qui confirme la dérive sécuritaire dans laquelle notre pays s’est engagé.

Une bonne occasion de rappeler que nous proposons depuis longtemps de supprimer la carte d’identité, ou à tout le moins son caractère obligatoire!

Baudoin Collard

Membre du parti libertarien

Paru dans L’Echo : http://www.lecho.be/r/t/1/id/9742386