Michael Bloomberg et Lawrence DePrimo. Tous deux sont new yorkais, et leur action dans le domaine de l’aide aux sans abris au début de cette période de grands froids leur a valu l’attention de la presse. Ce sont  toutefois leurs seuls points communs.

Michael Bloomberg est maire de New York, et supervise à ce titre une armada d’administrations municipales. Il est très sensible aux questions nutritionnelles, et estime qu’il est de sa responsabilité que ses administrés mangent sainement. Ceci l’a conduit début novembre à prendre un arrêté interdisant les dons d’aliments cuisinés par les donateurs eux-mêmes aux refuges de sans abris car l’inspection sanitaire municipale ne peut en vérifier la teneur en sel, matières grasses et fibres. L’homme qui a fait connaître l’affaire, Glenn Richter, livrait des bagels de sa confection depuis plus de vingt ans à un centre pour sans abris proche de chez lui, mais cette année, ils ont été refusés. Les sans abris se passeront de bagels, tant pis pour eux.

Dérapage d’un fonctionnaire zélé d’une administration connue pour sa finesse – elle avait déjà infligé une amende à des pompiers servant à manger à des sinistrés de l’ouragan Sandy au motif qu’ils portaient un casque et non la charlotte réglementaire ? Pas même. Monsieur Bloomberg, politicien milliardaire, assume. Pour lui, le véritable scandale est que ces donations aient été acceptées par le passé.

Lawrence DePrimo est un simple policier, employé par la ville de New York. Un soir de grand froid, repérant un sans abri pieds nus, il n’a rien demandé à personne. Il n’a pas rempli de formulaire, il n’a pas requis l’avis d’un comité d’experts, il n’a pas sollicité une subvention. Il a simplement, avec son propre argent, été acheter une paire de bottes et des chaussettes à cet homme, et l’a aidé à les enfiler, puis a repris sa patrouille. Sans un touriste photographiant la scène par hasard, à l’insu des protagonistes, personne n’en aurait jamais rien su.

Ces deux histoires illustrent à merveille la différence entre l’intervention publique et l’intervention individuelle, en termes d’efficacité, mais aussi en termes de nature.

Lorsque l’état décide de tenter d’aider les sans abris, avant que le moindre sou ne leur soit effectivement consacré, la première chose qui naît est une administration. Celle-ci, pour justifier son existence, édicte des normes, inspirées par l’idée qu’elle se fait du bien, et conformes aux lubies politiquement correctes du temps. Elle veille aussi à protéger soigneusement son périmètre de compétences.

Ainsi, se combinent en Belgique un Service Public de « lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale », une compétence régionale de coordination, des compétences communautaires – l’accueil des populations précaires relève des communautés – et communales via les CPAS. Ceci donne lieu à de savants observatoires et colloques, de précieux groupes de coordination, une inflation de la règlementation, sans oublier les innombrables groupes de projets transversaux.

Et pendant ce temps, près de 20.000 personnes vivent dans la rue en Belgique. A Bruxelles, elles seraient de 3 à 4.000.

Pour bénéficier d’une place d’hébergement d’urgence, le sans abri doit la réserver par téléphone, avec, selon les témoignages, des temps d’attente que même le pire service client n’oserait infliger.

Parfois, c’est la règlementation elle-même qui exclut. Un décret de la COCOF oblige toutes les maisons d’accueil agréées à définir un projet pédagogique de réinsertion, qui doit être signé par la personne accueillie. L’intention est peut être bonne, mais l’obligation systématique a pour effet pervers d’en exclure les plus précarisés, peu susceptibles de concevoir un tel projet. Et malheur à qui voudrait s’affranchir des fourches caudines de l’administration : son espace d’accueil se verrait alors désigné par l’infâmant sigle de SHNA (structure d’hébergement non agréée). Inutile de préciser que leur éradication semble être une des priorités du service concerné de la COCOF.

Face à la défaillance de l’Etat, il reste les individus. De leur propre initiative, comme Lawrence DePrimo, ou dans le cadre d’associations caritatives ou religieuses, à petite, moyenne ou grande échelle, en fonction de leurs moyens financiers ou humains, les individus agissent pour apporter une aide concrète à ceux qui en ont besoin. Cette aide ne consiste pas en l’affirmation d’un pseudo « droit à » dont la mise en œuvre se perd dans les méandres administratifs, mais est immédiate et réelle : un repas chaud, un abri, une paire de chaussures.

Le curé qui ouvre son église le soir par grand froid ne proclame pas avec Sarkozy un droit au logement opposable. Il n’a pas non plus attendu les imprécations de Duflot pour le faire (à ce sujet, nous déplorons le ton employé par icelle, mais constatons que même les plus féroces collectivistes reconnaissent la supériorité de l’initiative privée sur l’action de l’Etat).

Glenn Richter en préparant ses bagels ne proclame pas un droit abstrait à la nourriture, il apporte un peu de réconfort à ceux qui, près de chez lui, ne peuvent manger à leur faim. Lawrence DePrimo ne milite pas pour le droit à la chaussure pour tous, il accomplit un geste concret pour une personne dont il a constaté la détresse.

Malgré la crise, et bien que ponctionnés à 50% par l’Etat, les belges donnent plus de 300 millions d’Euros par an à des associations, somme qui ne comprend ni les dons en nature, ni l’aide directe d’individu à individu. Le bénévolat associatif représente l’équivalent de 175.000 emplois à taux plein. Que seraient ces chiffres sans le racket étatique opéré en amont ?

La solidarité telle que mise en avant par l’Etat est donc inefficace. Point n’est besoin de démontrer que, reposant sur la contrainte, elle est aussi immorale. Elle nie l’individu, que ce soit celui qui est obligé de contribuer ou celui qui est supposé en bénéficier. Le terme même de solidarité est empreint de cette idéologie : venant du latin « solidum », qui signifie « pour le tout », son emploi était originellement limité au domaine juridique pour qualifier des condamnations civiles, où l’un des débiteurs peut être tenu pour la totalité de la dette, sans que les parts de chacun ne soient différenciées vis-à-vis du créancier.

A la solidarité globalisatrice, nous opposons la motivation de l’initiative individuelle : la fraternité, le fait de considérer autrui comme son frère humain, et dès lors de se comporter comme tel avec lui.

Au tous pour tous, nous opposons le chacun pour chacun.

Le Parti Libertarien milite pour que la fraternité prenne le pas sur la solidarité, l’initiative individuelle sur les tracasseries administratives, et pour que dans ce monde il y ait moins de Bloomberg et plus de DePrimo.