Le récent regain d’intérêt pour la question de la liberté d’expression doit être l’occasion pour notre société de s’interroger sur ses propres rapports à la censure. Il serait trop facile de réduire le débat actuel en l’affrontement entre une civilisation obscurantiste et une civilisation des lumières où règnerait la plus grande liberté. En réalité, la liberté d’expression dans nos pays d’Europe occidentale a terriblement reculé ces dernières décennies. En Belgique, la dernière atteinte en date est une loi de répression du sexisme voté sous la dernière législature par l’ensemble des partis francophones, MR, Cdh, PS et Ecolo.

Une loi floue et dangereuse

Dans son article 2, la loi du 22 mai 2014 tendant à lutter contre le sexisme dans l’espace public décrit ainsi son champ d’application : « le sexisme s’entend de tout geste ou comportement qui (…) a manifestement pour objet d’exprimer un mépris à l’égard d’une personne, en raison de son appartenance sexuelle, ou de la considérer, pour la même raison, comme inférieure ou comme réduite essentiellement à sa dimension sexuelle et qui entraîne une atteinte grave à sa dignité. »

Nous le voyons, il s’agit d’une définition extrêmement large qui n’est potentiellement réduite que par l’atteinte à la dignité, une notion juridiquement très mal définie.  A priori, dans le langage ordinaire, seuls seraient visés des actes et des comportements particulièrement outranciers. Mais, dans son mode d’emploi consacré à cette loi, le très officiel Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes y incorpore, par exemple, le fait de « siffler grossièrement et vulgairement » ou de grogner pour suggérer un acte sexuel. Faut-il vraiment voir là une atteinte grave à la dignité ? Oui ? Non ? Peut-être…

En réalité les cas graves sont tous déjà, d’une manière ou d’une autre, interdits par la loi. La Belgique dispose de lois condamnant le viol (entendu dans un sens très large), le harcèlement, la discrimination, l’insulte, etc. Autant de lois qui s’attachent à protéger une victime véritable. Là où la nouvelle loi de répression du sexisme innove probablement (bien que cela reste juridiquement très flou), c’est par la disparition de la volonté de la victime. Des attendus parlementaires, il semble que le ministère public pourra agir en l’absence de victime claire, voire contre l’avis de cette victime. L’atteinte à la dignité humaine n’est pas nécessairement un ressenti de la victime et, même si celle-ci s’est pliée de bonne grâce à l’acte en question, des poursuites pourraient être engagées. Ainsi, le fait pour une femme de porter un foulard religieux à la demande de son mari renvoie réellement à une conception inégalitaire (ou en tout cas différenciée) des rôles sexuels et est vu par certains comme une atteinte à sa dignité. De même, qu’en est-il de l’actrice pornographique ou de la prostituée ? Par définition, leur métier implique « d’être réduites essentiellement à leur dimension sexuelle ». Potentiellement, cette loi offre donc la possibilité de faire fermer l’ensemble des sites pornographiques. Sans sourciller, les parlementaires ont signé le retour de l’ordre moral.

En toute circonstance, la loi doit protéger les citoyens contre les abus du gouvernement. Il est donc essentiel qu’une loi soit claire quant à ce qui est permis et interdit. Or, les lois aussi largement formulées que celle-ci n’offrent plus aucune protection. En définitive, le pouvoir d’appréciation se retournera toujours contre ceux qui sont aux marges de notre société. Les humoristes connus profiteront de la possibilité de brandir l’excuse de l’humour. Mais le quidam sur Twitter, qui n’a ni le même don ni le même réseau, risquera une sanction à la moindre remarque de travers. « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cours vous rendront blanc ou noir. » La liberté d’expression fut inventée pour protéger les minorités et les déviants. Ce sont ceux-là que la censure atteindra en premier.

Peines de prison !

Cerise sur le gâteau, nos dirigeants ont prévu que les infractions à la nouvelle loi pourront être punies jusqu’à une peine de un an de prison. Rappelons encore une fois que toutes les délits graves, viols, harcèlement, discrimination, insulte, etc. sont déjà punis par la loi. Les peines de prison dont il est question dans ce nouveau texte sont donc spécifiquement destinées à réprimer les délits hors des cadres précédents, mauvaises blagues au travail, persiflages en public, drague lourdingue en rue. Dans quel genre de société vivons-nous pour que des comportements si médiocres puissent conduire à une peine si lourde ? Notre société ne parvient déjà pas à gérer la criminalité et il faudrait encore faire de la place en prison pour des gens simplement mal éduqués ?

Cette question de la peine est emblématique de tout le processus de censure que nous dénonçons à travers cette loi. L’occident passe progressivement d’une société ouverte à une société répressive. Certes, le sexisme est un mal endémique contre lequel il convient de lutter. Mais ce combat lui-même n’a été rendu possible que grâce aux libertés civiles qui sont garanties à chacun. Au-delà de chaque combat particulier, le Parti Libertarien entend mener un combat plus large en faveur des valeurs qui fondent notre civilisation : état de droit, tolérance, liberté d’expression.