Parmi les graves problèmes que connaît la Belgique, il en est au moins un qui s’apprête à trouver sa solution, grâce à la vigilance de la commission Economie de la Chambre, qui vient d’adopter un texte pour y remédier : celui de la revente avec une marge des tickets de concerts.

Oui, en ces temps de crise aigue, de dette irremboursable, de taxation massive, la mal nommée commission Economie estime qu’il est urgent d’interférer dans une transaction privée conclue entre deux personnes parfaitement consentantes, en proposant une loi non seulement inepte, mais encore parfaitement inapplicable.

Rappelons donc quelques évidences. L’organisateur fixe un prix de vente public pour l’événement concerné, tenant compte d’une part des coûts engagés (location de la salle, cachet des artistes, matériel utilisé, promotion et publicité), et de facteurs subjectifs, comme la notoriété de l’artiste ou la rareté de ses concerts d’autre part. Comme tout agent économique rationnel, il fixe le prix qu’il estime optimal en recherchant ce qu’il pense être le point d’équilibre entre le meilleur revenu moyen par billet possible et le taux de remplissage maximal de la salle. Ce prix de vente reflète donc la prédiction que fait l’organisateur comme étant le prix qu’un nombre suffisant de personnes acceptera de payer pour que le maximum de places soient vendues. Ainsi, dans le cadre d’un concert à Forest National, la salle comptant 8400 places, l’organisateur fait le pari que 8400 personnes au moins accepteront de payer ce prix.

Or, ce prix ne représente la valeur exacte du concert que pour une minorité d’individus. En effet, chaque individu étant différent et ayant des goûts et besoins différents, très peu l’estimeront spontanément au même prix que le prix moyen retenu par l’organisateur. Au contraire, certains auraient été prêts à payer davantage, d’autres pensent sans doute que le prix est un peu cher, mais acceptent néanmoins de le payer.

Voila donc notre billet mis en vente. Il est disponible à l’acquisition pour toute personne intéressée, au prix fixé par l’organisateur. Personne n’est empêché d’acheter par lui-même un billet au tarif public. Dans le cas d’événements très demandés, cela peut impliquer des contraintes, comme se libérer le jour de la mise en vente, se rendre chez un distributeur de billetterie, faire la file, le tout en s’y prenant longtemps à l’avance, mais l’opération est possible pour tout un chacun, puisqu’il n’existe aucun guichet spécifique réservé aux spéculateurs.

Ceux-ci font un pari complémentaire à celui de l’organisateur : ils estiment qu’il existe une fraction des individus prête à payer plus cher que le prix affiché, et qui pour une raison ou une autre ne veulent, ou ne peuvent, s’adapter aux contraintes liées à l’acquisition par la voie normale (indisponibilité, ignorance, manque de liquidités à l’instant de la mise en vente…).  A son tour, le spéculateur va devoir estimer le prix maximal qu’un individu serait prêt à payer en échange d’un billet : ceci suppose tout d’abord qu’il n’en reste pas de disponible au prix public. Cela suppose aussi qu’il n’y ait pas de nombreuses autres personnes qui aient eu la même idée que lui : plus l’offre est abondante, plus les prix sont tirés vers le bas, chaque vendeur étant incité à proposer des conditions plus intéressantes que son concurrent pour conclure la transaction.

N’oublions pas, en effet, que la valeur du billet de concert retombe à zéro une fois le concert passé (hormis peut-être pour des collectionneurs, ce qui est là un autre type de valeur d’usage ne dépendant pas du même modèle).

Les travaux de la commission (car en plus il y a eu des travaux préparatoires) ont démontré, par une étude du professeur Méon de l’ULB, que les billets vendus sur Internet quelques jours avant l’événement l’étaient avec une plus-value moyenne de 47%, tandis que ceux vendus dans la rue, aux abords de la salle de concert quelques minutes auparavant subissaient en revanche une moins-value de 20%. Plus on approche de l’événement, plus les prix baissent, un ticket non vendu étant une perte sèche.

Le spéculateur doit donc adapter son offre à la demande. Dans le cas d’une très forte demande, et d’une faible offre, le prix peut en effet grimper, et s’il le fait c’est qu’un nombre suffisant d’individus estiment que le prix proposé correspond à la valeur qu’ils donnent au fait de pouvoir assister à ce concert. Eventuellement, une personne ayant acheté un billet avec la ferme intention de s’y rendre peut tout-à-fait estimer que la possibilité de réaliser un bénéfice a pour elle plus de valeur que d’assister au concert, et rechercher à son tour une personne pour qui ce sera l’inverse.

Personne n’est lésé dans cette transaction ; l’organisateur touche quoi qu’il arrive le prix qu’il a lui-même fixé ; s’il s’est trompé et a fixé un prix trop bas, cela est de sa responsabilité. Le revendeur réalise un gain qui rémunère son risque, l’immobilisation des fonds, et l’acceptation des contraintes liées à l’achat au prix public. L’acheteur paye le prix qu’il est disposé à payer pour assouvir son désir d’assister au concert. Toutes les parties concernées sont donc satisfaites de la transaction conclue.

Le seul en réalité à prendre un risque est le revendeur, qui peut ne pas vendre, ou mal vendre son billet. L’organisateur est désintéressé dès lors le billet vendu à prix public, et l’acheteur a la liberté de ne pas acheter si le prix lui semble trop élevé.

C’est donc au nom de la protection des intérêts de tiers, parfaitement étrangers à la transaction, que le parlement entend légiférer, selon l’argument spécieux que si la transaction avait été conclue à un prix inférieur, davantage de personnes auraient pu en conclure ; ceci est bien évidemment absurde : si un vendeur dispose d’un seul billet à vendre, une seule personne pourra l’acheter. A défaut de sélectionner le mieux disant, comment devra-t-il choisir son acheteur ? Premier arrivé, premier servi – et s’il prend connaissance de tous les messages en même temps ? Tirage au sort, devant huissier pour éviter toute accusation de dessous de table ?  On rétorquera que la loi vise à dissuader le spéculateur d’acheter un billet, en premier lieu, donc à laisser davantage de billets disponibles à ceux dont la motivation est d’assister réellement au concert, comme le précise Madame Lalieux, muse du projet de loi. Mais comment détermine-t-on la motivation d’un acquéreur au moment de l’achat ? Comment distinguer celui qui finalement change d’avis ? Utilise-t-on un détecteur de mensonges dans les files d’attente de la FNAC ?

C’est bien évidemment totalement impossible. C’est de surcroît inapplicable. Interdisons les annonces de vendeurs (et on verra bien sûr fleurir des mentions du type prix négociable) et fleuriront aussitôt des annonces d’acheteur recherchant tel ou tel billet et prêt à offrir une récompense à la personne qui leur trouvera un billet au prix public.

L’offre et la demande tendent à s’équilibrer de manière naturelle, aucune loi n’y peut rien. Si quelqu’un veut impérativement acheter un bien ou un service, même culturel, il se trouvera quelqu’un pour le lui vendre. S’en prendre aux vendeurs est donc inepte, et s’en prendre aux acheteurs, impossible.

On comprend bien les visées électoralistes du PS dans cette affaire, les plus grands adeptes de concerts se trouvant souvent parmi les plus jeunes, qui, étudiants ou débutant dans la vie active, ont le moins de moyens financiers, et qui peuvent certes regretter le prix parfois élevé de certaines grandes manifestations musicales.

Si les organisateurs de spectacles, voire les artistes, veulent s’en préoccuper, il peut y avoir des solutions (billets nominatifs, comme pour la coupe du monde de football, avec des règles de reprise et d’échange stricts, limitation du nombre de places vendues par personne etc..) ; mais ce n’est pas à l’Etat de se mêler  de transactions purement privées entre personnes consentantes, au motif d’avoir tout-à-coup redécouvert l’eau tiède, à savoir que des moyens financiers plus importants permettent d’acheter davantage de biens et services…